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Père CHANLON

L’ORPHELINAT de Domois fut créé le 23 avril 1880 par l’abbé Jean-François Chanlon (il avait 33 ans). Il était plein de zèle et d’ardeur et fut remarqué par Mgr Rivet, évêque à ce moment du diocèse dijonnais. Celui-ci lui demande le 1er juin 1880 de fonder un orphelinat à Domois, petit hameau où se trouvaient une ferme et quelques maisons, près de Chevigny-Fénay ; le besoin d’un orphelinat digne de ce nom se faisait particulièrement sentir depuis plusieurs années.

Alors, va commencer pour l’abbé Chanlon une autre vie à laquelle il n’était peut-être pas préparé, mais à qui il donnera tout son cœur de prêtre et d’apôtre. Il n’existe pas grand chose à Domois. C’est sur les ruines de l’ancien sanctuaire de Notre-Dame de Domois qu’il se fit architecte et au besoin ouvrier maçon ou charpentier. En effet, il lui faut avant tout abriter les enfants qu’on lui confie et qui viennent pour la plupart de Dijon. Aussi, l’abbé construit, restaure, aménage et bientôt d’un amas de masures il aura réussi à faire quelque chose de peut-être pas très beau ni de très confortable, mais d’une solidité telle, qu’après plus de cent vingts ans, ces constructions sont toujours debout.

Père CHANLON et les premiers petits orphelins

S’occuper du matériel, c’est bien, mais cela ne suffit pas et ce n’est même pas l’essentiel, surtout dans une maison d’éducation comme un orphelinat. Aussi, le père Chanlon, comme on l’appelle désormais partout, s’il continue à se préoccuper d’abriter, de nourrir et d’habiller ses petits orphelins, veut avant tout qu’ils sortent de sa maison meilleurs et plus armés qu’ils n’y sont entrés. C’est pourquoi, pour favoriser leur piété, il fait revenir à la vieille chapelle du hameau de Domois, l’antique statue d’une vierge noire datant du Xe siècle qui y était vénérée avant la Révolution et qu’on avait cachée alors dans les combles de l’église de Fénay.

 

 

De retour chez elle, Notre-Dame de Domois abritera, nourrira et protégera l’orphelin, comme le père Chanlon le fait graver sur le socle de la statue. (J’en parlerai un peu plus loin dans ce récit ).

L’objectif du père Chanlon était assez simple, mais rempli de bon sens, en donnant aux jeunes enfants une éducation qui se voulait moderne à cette époque. Domois se trouvant à la campagne et disposant de terres qui ne demandaient qu’à être travaillées, il décida qu’à Domois on travaillerait la terre, à Dijon on imprimerait !

L’orphelinat ne devait pas être seulement un lieu de refuge où l’enfant, privé de ses soutiens naturels, attend en serre chaude de pouvoir rentrer dans la vie. Cet enfant, au milieu des autres membres de la société, ne doit être ni un déclassé, ni un homme en état d’infériorité. Il avait compris ce problème et c’est pourquoi il veilla à ce que ces enfants reçussent à Domois une bonne éducation primaire, n’hésitant pas à pousser ceux qui s’avéraient capables de faire des études supérieures.

Certains d’ailleurs ont justifié son choix et sont devenus journalistes, professeurs, directeurs, chefs d’équipe, entrepreneurs, officiers, chefs d’orchestre, artistes, poètes et pour la plupart des bons ouvriers et employés. Sans compter les religieux qui ont entendu l’appel divin aux pieds de la Vierge de Domois.

Quand les enfants avaient passé leur certificat d’études ou étaient en âge de travailler et d’apprendre un métier (dès l’âge de 14 ans), ils étaient alors (comme par la suite jusqu’en 1970), orientés selon leur capacité ou leur habileté, vers un des ateliers que le père Chanlon avait établis avec des moyens de fortune. C’est pourquoi entre le jardin et la ferme - de première nécessité pour les besoins de la maison - les jeunes apprentis sont employés à la menuiserie, à la cordonnerie, à la fabrique de balais, à la forge ou à l’imprimerie.

Ainsi, les enfants apprennent en quelques années un bon métier et quand ils sortent de l’orphelinat, à 18 ans, ce sont de vrais ouvriers, souvent retenus à l’avance par des patrons de la région. Pour ne citer qu’un exemple, l’imprimerie, malgré des machines très rudimentaires, a donné de nombreux maîtres imprimeurs, typos, linotypistes, metteurs en pages ou correcteurs et certains sont arrivés à des postes de choix dans l’art typographique, tel cet ancien rédacteur d’avant-guerre du “Bulletin Officiel des Maîtres Imprimeurs de France, et même lauréat de l’Académie française”, et cet autre ancien qui, plus tard, deviendra le meilleur ouvrier de France, dans le même domaine.

Le père Chanlon avait en effet des relations avec Mersch et Cie, imprimeurs à Dijon. Il y envoya dès 1885 des jeunes enfants en apprentissage et utilisa très certainement son matériel et achalandage qu’il racheta sans doute par la suite, afin de ramener cette activité dans les murs de l’orphelinat. Preuve en est qu’un médaillon ovale représente des enfants, des prêtres ou religieux et, en arrière-plan, les bâtiments de l’orphelinat. Celui-ci représente l’orphelinat tel qu’il était fin du XIXe et au début du XXe siècle.

Des bâtiments, il en reste d’ailleurs une assez grande partie : l’ancienne chapelle où nous faisons nos assemblées générales, l’imprimerie et les salles qui mènent à la pièce actuellement utilisée par l’association du Clos de Domois (anciennement logement de Mme Thiebaut, couturière). Le bâtiment où se trouvaient le bûcher et les logements de M. Morisot (chef de l’imprimerie) et de M. Cornemillot (chef de la ferme dans les années 1930-1955).

Mme Thiebaut

La construction d’un orphelinat ne peut se faire d’un coup de baguette magique et l’argent n’arrivait pas très facilement. Le père Chanlon était un homme très actif et n’hésitait pas à solliciter les personnes qui pouvaient lui venir en aide. Mme de Contenson fut l’une des plus entreprenantes et son bon cœur, son amour pour son prochain, comme on disait à l’époque, a été pour l’œuvre du père un apport certain. Mais le père Chanlon ne voulait pas simplement se reposer sur les aides et le bon vouloir des autres. Il voulait montrer aussi qu’il pouvait contribuer financièrement à ce projet. Il organisa avec ses orphelins des représentations théâtrales et une loterie au profit de l’orphelinat de Domois. Cette loterie constituait un rapport important pour l’œuvre de l’orphelinat.

Les débuts furent, vous pouvez vous en douter, très difficiles. Il fallait construire, cultiver, enseigner, éduquer, habiller, nourrir, etc... Un ouvroir fut créé par Mlle O’Mahony, personne dévouée à l’orphelinat. Il se composait d’une cinquantaine de dames et demoiselles de la bonne société dijonnaise.

Le père Chanlon fut accompagné dès l’arrivée des enfants par sœur Alexandre, chargée de la classe et du chant pendant la journée ; de sœur Saint-Pierre, chargée de la lingerie, laquelle déclare que pendant plus de trois ans (c’est-à-dire jusqu’en 1883 où l’on commença à acheter du neuf), les orphelins furent vêtus par la seule charité publique.

L’équipe devait se consolider par l’arrivée du frère Jean-Baptiste, chargé de faire une classe le soir à 19 heures et, pendant la journée, de soigner le petit jardin et de faire le pain. M. Rochet prit en charge la ferme et M. Billard, la vigne. Hé oui ! De la terre il y en avait, mais il fallait la défricher et la mettre en valeur pour nourrir les enfants de Domois.

Le petit monde des orphelins augmentait rapidement et considérablement ; au nombre d’une dizaine au moment de la création, il en arriva un peu de partout, Béthune (dans le Pas-de-Calais), Préville (près de Domois), Gevigney (Haute-Saône), succursales créées aussi par cet homme infatigable.

Il voyait grand et loin et on dit même que saint Jean de Bosco, de passage à Dijon, l’encouragea vivement à continuer avec confiance dans la voie où il s’était engagé. Cent-cinquante enfants de 5 à 18 ans se trouvaient à Domois, sous la responsabilité du père Chanlon.

Jean de Bosco

Puis ce fut la supérieure générale des Sœurs de l’Adoration Perpétuelle qui vint en aide au père Chanlon. Cette communauté a provoqué un tel courant de sympathie entre ces deux âmes d’élite, que le père devint le grand directeur spirituel de la jeune congrégation et des sœurs qui furent envoyées à Domois. Elles y travaillèrent avec un zèle infatigable, jusqu’à l’épuisement complet de leurs forces.

Elles se donneront tant à l’œuvre du père, que Domois, sans leur présence, ne serait plus Domois.

Mais il serait quand même temps de présenter
cet homme de cœur qui fut plein de dévouement
et de patience envers l’enfance malheureuse :
abbé Pierre du moment, pourrait-on dire.

Qui était en réalité le père Jean-François Chanlon ?

Il naquit à Arnay-le-Duc, petite ville de la Côte-d’Or, le 20 novembre 1847. Ses parents, chrétiens de vieille souche, acceptèrent avec joie de laisser leur enfant répondre à l’appel divin et diriger sa vie vers le sacerdoce. Il partit donc faire ses études cléricales au petit séminaire d’Autun.

La guerre de 1870 le surprend à Dijon (il a 23 ans) où il est venu achever ses études théologiques. Bien que non astreint au service militaire, il s’engage dans une unité d’ambulance et, comme il vient d’être ordonné sous-diacre, il part avec son bréviaire dans une cartouchière. Malgré les fatigues et les difficultés il arrive à dire son office tous les jours. Dans les premiers mois de 1871, il est de retour à Dijon au Grand Séminaire.

Un jour, dans une grande réunion publique au cirque, on discute ferme pour savoir s’il faut établir la Commune dans la ville. Le lendemain, l’abbé Chanlon demande à l’un des participants :

“Alors, qu’avez-vous décidé hier ?” - “Rien, répond l’autre, deux charpentiers sont venus. Ils ont crié et chanté tout le temps. Pas moyen de les faire taire.” Il le savait bien, car il était l’un des deux. Ce petit fait divers campe bien l’homme que sera le chanoine Chanlon : de la bonhomie, du cran et de l’audace, beaucoup d’audace.

C’est le 25 juillet de cette année 1871 que l’abbé est ordonné prêtre à Dijon. Il est nommé vicaire à La Roche-en-Brenil, puis vicaire à Notre-Dame de Dijon. Son zèle et son ardeur apostolique peuvent alors s’épanouir et le jeune vicaire montre vite de quoi il est capable. C’est ainsi que, pour la Fête-Dieu, il veut un reposoir grandiose. Une vaste tente est achetée : elle abritera toute la place de la banque et, le lendemain de la procession, la toile sera vendue par morceaux, au prix fort, pour les œuvres de la paroisse.

Cette activité débordante n’est pas sans être remarquée et appréciée de ses supérieurs et c’est ainsi qu’il est appelé par Mgr Rivet, évêque de Dijon, pour fonder, comme on l’a vu plus haut, l’orphelinat de Domois.

Cela va à l’encontre de ses désirs personnels. Il n’a pour les enfants aucun attrait spécial. Sa famille le dissuade d’accepter une telle charge. Domois est un petit hameau perdu dans la plaine, au milieu des champs, à plus de 7 km de Dijon et l’abbé semble plus fait pour la ville que pour la campagne. Mais dans le désir de son évêque, il voit la volonté de Dieu. Il prononce donc son “Fiat ” et s’en va vers sa nouvelle destinée.

Les sœurs de la Providence de Vitteaux furent remplacées par la congrégation à l’Adoration du Saint-Sacrement et aux œuvres de charité en faveur des pauvres, fondée par l’abbé Faller, en Alsace. Elles répondirent avec générosité à l’appel du père Chanlon et vinrent consolider l’œuvre de Domois-Dijon-Préville.

Nous reparlerons prochainement de l’action de ces religieuses.

Le pouvoir de ce vénérable père était sans limites et sa tâche, extrêmement lourde, il faut le reconnaître, était truffée d’écueils. Petit de taille, la tête sans cesse couverte d’une minuscule calotte noire que festonnaient des bouclettes de cheveux blancs, le père Chanlon avait l’œil aigu, l’air bougon et son sourire - quand il souriait !!! - était mêlé d’un peu d’ironie.

Aux dires d’un orphelin (Désiré Béhin), hélas qui n’est plus de ce monde, mais en qui nous pouvons prêter foi, le père Chanlon était craint des orphelins. Il était aussi, de l’avis d’un autre orphelin (Paul Ravot), un noble vieillard aux grands yeux bleus. Une longue chevelure blanche, légèrement bouclée, à la “saint Curé d’Ars”, ajoutait, à ses yeux de gamin, une dignité et une noblesse qui en imposaient. Toujours simplement vêtu, il aimait s’arrêter au milieu des enfants, tapotant la joue de l’un, disant un mot paternel à un autre, réprimandant un troisième, ou enfin donnant un bon conseil, comme sait le faire le père de famille, qui sait que tous ses gavroches ne sont pas de petits saints. Ce qui campait de façon discrète, mais bien personnelle la silhouette de notre père, c’était son grand chapeau noir, la barrette, mais encore et surtout le rabat noir bordé de blanc, si cher aux prêtres français à la fin du siècle dernier et au début du XXe siècle. Il aimait lui aussi ses gosses, c’étaient les siens : chez lui, dans sa maison.

Désiré BEHIN

Lorsqu’il descendait de son automobile - vrai taxi de la Marne - que conduisait Bize (un brave homme recueilli), tout Domois était sur les dents et “tremblait”.

C’était un grand remue-ménage et la nervosité gagnait tout le monde depuis les “grands” du père Carré jusqu’aux plus “petits” de la sœur Bertha.

 

 

Il convient de dire qu’aux yeux des enfants, le père Chanlon était bien loin de représenter un “papa gâteau”. Malgré les réprimandes et même les quelques gifles distribuées, méritées ou non, le père Chanlon a fait des orphelins, des hommes qui pour la plupart ont bien réussi.

Le grand quartier général du père Chanlon était situé au 40, de la rue Condorcet, à Dijon. Depuis 1908, le père Richard avait pris la direction de l’orphelinat, mais le grand patron était toujours le père Chanlon. Donc, de la rue Condorcet partaient les ordres pour les secteurs suivants : Béhune, Gevigney et Domois. Il était aidé dans son labeur ingrat par mère Henriette, supérieure de la Congrégation du Saint-Sacrement. Cette mère dévouée, au sourire plein de gentillesse, savait être sévère d’une manière opportune.

Les ordres dont nous parlions précédemment destinés au père Richard à Domois, arrivaient au moyen d’une estafette : en l’occurrence Gustave Vauclair (lui aussi hélas a quitté cette terre), orphelin ayant l’âge d’aller à vélo. Il a pu se targuer d’avoir fait des centaines de kilomètres sur cette route qui va de Dijon à Seurre et qui longe le plateau de Domois.

Le groupe Chanlon

Pendant que l’orphelinat suivait son bonhomme de chemin, le père Chanlon ne pouvait pas s’arrêter et il fallait faire tellement pour les enfants sans famille. Lors de la Première Guerre mondiale, il ouvrit un orphelinat à Dijon pour petits garçons de 2 à 7 ans, dont les papas étaient à la guerre et les mamans travaillaient. Sans architecte, il construisit lui-même le bâtiment, avec les sœurs comme main-d’œuvre. Une trentaine d’enfants partageaient leur vie entre Dijon en hiver et Préville en été. En bon organisateur, le père Chanlon préconisait des sections particulières :

- il prévoyait à Dijon-Préville, les tout-petits ;
- à Gevigney (Haute-Saône), les enfants d’âge scolaire ;
- à Domois, les postscolaires, avec formations professionnelles diverses, dont l’imprimerie, qu’il avait déménagée de la rue Saint-Philibert, à Domois ;
- l’exploitation agricole, des ateliers de menuiserie, cordonnerie, et même une forge.

La ferme et le jardin étaient pour le père Chanlon une priorité, car il savait que depuis des siècles les hommes pouvaient vivre grâce à la terre si on se donnait la peine de la travailler. Mais le jardin, comme dans toute maison bien ordonnée, ne doit pas se trouver trop loin de l’habitation et celui-ci devait être grand. Le périmètre qui lui avait été octroyé ne pouvait que contenir les bâtiments et les cours de récréation pour les enfants.

Qu’à cela ne tienne, il y avait une vaste prairie en limite de la propriété, ce pouvait être un excellent jardin potager.

Il se renseigna pour rencontrer le propriétaire et le convaincre de la vendre à un prix raisonnable. Refus absolu de celui-ci. La prairie n’est pas à vendre, rien à faire. Déçu, le père reprend le chemin de Dijon. Or voici qu’en traversant Longvic, il voit, au coin d’une maison, une statue du Sacré-Cœur placée là pour être mise en vente. Tout de suite, il décide de l’acheter pour la mettre au milieu de la fameuse prairie. Et voici la statue achetée, mais la prairie...

Eh bien ! le lendemain il recevait les offres du propriétaire. Il avait changé d’avis et offrait lui-même de vendre la fameuse prairie. Le père Chanlon en conclut que le Sacré-Cœur a voulu être à Domois et y régner. Par la suite il a fait venir les “Prêtres du Sacré-Cœur” pour y assurer la vie de l’Oeuvre. Voilà de quoi était capable le père Chanlon, cet homme de volonté, de dévouement et de bonté. Les anciens de Domois, qui ont eu la chance d’être choisis en ces temps si difficiles, peuvent lui en être à tout jamais reconnaissants.

Le père a quitté ses fonctions en 1922 où il fût nommé chanoine titulaire de la cathédrale de Dijon. Il s’est éteint discrètement le 10 janvier 1939 (il avait 92 ans). Conformément à sa demande, on ne prononça pas son éloge funèbre, et il n’a pas écrit ses mémoires (dommage). Aussi, lorsque Dieu le rappela à Lui, c’est à Domois qu’il a voulu rester, et comme dernière marque de fraternelle affection, il souhaita reposer au milieu des orphelins : là-bas, à l’orée du bois et de la fameuse prairie, au petit cimetière de famille, c’est là qu’il les retrouvera, ses gamins, au dernier jour.

 

 

 

Récréation

 

Orphelins sous la statue de Note Dame de Domois

 

Le groupe Chanlon avec les petits et les grands

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