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Père RICHARD

ON ne peut évoquer le Domois de ce début de siècle sans parler du père Jacques Richard, qui administra de 1908 à 1913, en tant que sous-directeur, l’orphelinat de Domois, et directeur de 1913 à 1922. Il fut un dévoué collaborateur du père Chanlon, et s’est lui aussi usé au service de ses “petits gars”, comme il aimait à appeler les enfants ; il était pour les orphelins un vrai père. Il était certes sévère, même un peu de trop aux dires de certains anciens, mais juste. Il était dur pour lui-même et aussi pour les autres. Il ne tolérait aucune peccadille qui était impitoyablement punie dans des proportions exagérées parfois.

Un ancien se souvient :

Les verbes entiers à copier plusieurs fois pleuvaient sur nos têtes. Je me souviens que lors d’une de ses permissions, en juillet 1916 (il avait 41 ans), alors que nous engrangions les moissons, il nous surprit plusieurs de l’imprimerie, “mobilisés” en cette circonstance, en train de jouer à cache-cache sur les “tisses”. Il nous colla à copier cinq fois, pour le lendemain, la phrase : “Je m’amuse au lieu de travailler”. Le problème crucial était pour nous de trouver d’abord un crayon et surtout du papier, difficulté à peu près insurmontable. Que Dieu me pardonne ! mais nous étions obligés d’arracher les pages blanches des missels pour exécuter notre punition !

Malgré cette sévérité apparente, le père Richard a été un brave homme, aimé par les orphelins. C’était sans aucun doute un homme charitable et dévoué. Sa tâche à Domois consistait surtout à l’administration et l’organisation. Les orphelins gardent un bon souvenir de ce prêtre qui tenait toujours à accueillir les enfants, lorsqu’ils arrivaient complètement désemparés, rue Condorcet à Dijon. (Il est décédé en 1957, à l’âge de 84 ans).

Ayant passé neuf années à Domois, j’en ai entendu parler et en bien. Il avait pour le soutenir des pères qui, pour la plupart, faisaient bien leur travail.

Afin que leur dévouement ne tombe pas dans l’oubli, j’aimerais en citer quelques-uns : père Carré qui fût très certainement le bras droit du père Richard. Les pères Braux, Albouy, Max, Perrot, Desvignes, Pergent et bien d’autres dont les noms ne sont pas revenus aux différents acteurs des articles.

Des sœurs aussi œuvraient et se donnaient corps et âme pour les orphelins. Mère Polycarpe, tout en ayant la responsabilité d’une bonne douzaine de sœurs, était d’un naturel effacé. Son abord était facile. Sa simplicité n’avait d’égale que la gentillesse qu’elle exerçait sur les enfants, ses “bébis tabageurs impéciles”, comme elle se plaisait à les appeler. Car mère Polycarpe parlait très mal le français et c’était là son plus grand défaut ; mais avec un peu de bonne volonté les orphelins la comprenaient, du reste la plupart des autres sœurs étaient alsaciennes. En dehors de sa charge religieuse, mère Polycarpe s’occupait de la fabrication du vin mousseux, marque “Maison Blanche” - sans doute à cause du château, qui est aujourd’hui avec d’autres bâtiments, le centre de l’orphelinat. Les bouteilles, coquettement vêtues d’étiquettes blanches et or avec encadrement d’argent, muselées à souhait et protégées par de mœlleux paillons, étaient expédiées vers l’Alsace ou autres régions inconnues des enfants.

Il est possible que des sœurs soit oubliées dans ce récit, toujours est-il que je reviendrai à parler d’un bon nombre d’entres elles dans les différents souvenirs que les anciens ont fait parvenir.

Après avoir présenté le père Chanlon et son œuvre, il serait peut-être temps, avant d’évoquer sa succession, de parler des orphelins, qui étaient les acteurs principaux de l’existence de l’orphelinat de Domois. Là aussi, je reprendrai des témoignages d’anciens qui ont à mon sens dit ce que tous ont ressenti ou vécu.

Mais revenons à notre petit orphelin qui devait avoir son premier contact avec la plus haute autorité de la maison.

L’orphelin qui arrivait à Domois avait en général 9, 10 ans, c’était un enfant démuni de tout qui n’avait même pas été choyé, aimé de ses parents dans la plupart des cas d’ailleurs, c’était la mère qui était décédée. Le père, bien souvent pauvre et sans emploi, ne pouvait plus s’occuper de ses enfants et il devait se retourner, pour lui venir en aide, uniquement vers des institutions charitables. Au début de ce siècle, les prêtres des campagnes françaises se sont dévoués pour venir au secours des familles qui se trouvaient dans les situations les plus désespérées.

C’était en 1910 (j’avais à peine 10 ans), ma pauvre maman mourait presque subitement d’une paralysie foudroyante. Mon père me confia alors à ma grand-mère maternelle qui avait une vie très pauvre, presque misérable. Malgré la modeste pension que mon père lui servait, elle ne put s’occuper bien longtemps de moi et, l’année suivante, elle me renvoya vers lui : il avait entre-temps gagné Paris où il travaillait. Là, nous occupions une modeste chambre au cinquième étage d’un immeuble proche du restaurant où nous prenions nos repas.

J’ai eu la chance de voir s’intéresser à moi la patronne qui me considéra tout de suite comme “son enfant”, me prodiguant une grande bonté et me traitant comme le frère de ses filles. Pendant près de deux ans, je fus choyé par cette dame, mais mon père, gravement malade et devant entrer à l’hôpital pour un long séjour, se décida à me confier à un prêtre. Ce prêtre admirable, tout de bonté et de dévouement, me garda quelques mois près de lui. Il m’assura vivres et couvert et, ce qui est encore plus important, m’entoura d’une véritable affection, ce qui rendait moins pénible ma solitude. L’abbé Brunet, qui s’occupait également d’autres enfants en difficulté, chercha à me placer dans une institution où je pourrais me développer normalement et me préparer à la vie

C’était par un bel après-midi ensoleillé et chaud pour la saison, en février 1913. L’abbé Brunet, mon bienfaiteur, qui m’accompagnait depuis Paris dans un parcours assez long qui relie la capitale de la France à celle de notre province, avait à la sortie de la gare de Dijon hélé un fiacre, ou plutôt une calèche, qui nous mena rue Condorcet où le père Richard nous accueillit et nous donna rendez-vous à l’orphelinat de Domois distant d’une dizaine de kilomètres. La route était agréable car, comme je l’ai indiqué plus haut, le temps était magnifique, le soleil brillait généreusement dans le ciel exempt de tout nuage. Le père Richard, arrivé avant nous à destination, nous attendait près du “château”, aile primitive du grand bâtiment actuel. Nous fûmes tout de suite remarqués par les enfants qui se trouvaient à proximité, car c’était un événement à Domois que de voir une voiture de louage avec cocher !

Rue Condorcet

Donc, le père Richard nous fit visiter la Maison : les ateliers divers, classes, réfectoires, dortoirs, et bien sûr, la chapelle qui nous avait émerveillés avec ses décorations diverses et son ciel étoilé. Tout de suite, j’avais été conquis par l’imprimerie : non la composition, mais les machines, car “ça bougeait” et tout ce qui est mécanique captive les enfants ; je me promettais bien de travailler plus tard près de sœur Marie, grande maîtresse de l’atelier d’impression, mais, - ironie du sort ! - c’est vers la composition que l’on me dirigea l’année suivante, en mai exactement, trois mois avant la déclaration de la Grande Guerre 1914-1918 !

Après cette visite détaillée, le père Richard me remit entre les mains de sœur Emma qui s’occupait de la deuxième division ; elle me conduisit dans la cour pour prendre contact avec mes futurs petits camarades, car c’était l’heure de la récréation. Je fus intrigué de constater que la plupart des enfants mangeaient leur pain sec, alors que quelques-uns seulement agrémentaient leur goûter d’un “cran” de chocolat. Je pensai donc que les premiers étaient punis (je les trouvais trop nombreux), mais je fus bientôt mis au courant et informé par l’un d’entre eux que le pain sec était le régime habituel et que les mangeurs de chocolat étaient les heureux bénéficiaires de colis reçus peu auparavant, au moment des fêtes de fin d’année, et que sœur Emma leur distribuait parcimonieusement... pour faire durer le plaisir ! Je me souviens que je possédais dans ma poche un œuf dur (relief du repas pris dans le train), œuf que j’avais honte de manger avec le morceau de pain que l’on m’avait donné, et je l’offris à un “puni”, lequel ne se fit pas prier pour l’accepter et le déguster.

L’abbé Brunet, qui avait pris une légère collation dans la salle réservée aux visiteurs près de la chapelle, vint me retrouver dans la cour pour me faire ses adieux, me faisant force recommandations pour que je me conduise bien afin que ma sagesse fût donnée en exemple à mon entourage, ce que je lui promis sincèrement de faire.

Chapelle de la Vierge

Mon bienfaiteur demanda - étant donné l’heure matinale à laquelle je m’étais levé pour entreprendre le voyage du présent jour - que l’on me fît manger et coucher avant les autres enfants et que l’on m’accordât le lendemain matin, à titre exceptionnel, le bénéfice d’une grasse matinée. Je me souviens de mon premier repas (exécrable) : une affreuse soupe doublement ou triplement salée, proprement immangeable et un plat de riz à l’eau qui lui, ne l’était pas... salé, mais là pas du tout ; je trouvai cela de mauvais augure, pour l’avenir.

C’était un fâcheux pressentiment qui devait, hélas, s’avérer par la suite malheureusement vrai. Puis une sœur me conduisit au dortoir des “moyens” qui se trouvait au deuxième étage mansardé du vieux bâtiment donnant sur la cour Saint-Joseph et qui abritait également les réfectoires et dortoirs de la petite division (10-11 ans), gouvernée par sœur BERTHA, ainsi que l’école composée de deux classes, sans oublier la petite infirmerie avec seulement deux chambres. Je me remémorais les événements de la journée qui pouvaient compter pour un enfant de douze ans, puis le sommeil s’empara de moi et je m’endormis.

Je me réveillai le lendemain matin en entendant les enfants se lever de bonne heure, sans causer entre eux (car le silence était de règle), mais non sans bruit. Je pensai avec plaisir que j’allais bénéficier d’une ou plusieurs heures de répit, suivant les instructions données à sœur PERPETUE la veille.

Cette sœur était chargée du lever des enfants, mais n’ayant pas la compréhension facile et s’imaginant qu’un quart d’heure supplémentaire équivalait à une grasse matinée, elle m’invita à me lever après ce court délai et à rejoindre mes camarades qui procédaient à une toilette sommaire, et faisaient fi des règles de l’hygiène la plus élémentaire.

Je quittai donc mon “lit” non sans récriminations, puis je me livrai à un rapide débarbouillage et accompagnai tout ce petit monde d’abord à la chapelle pour assister à la messe quotidienne, puis au réfectoire où une soupe un peu plus appétissante que la veille nous fut servie. Après quoi, en rang et en silence, on nous conduisit à l’école où je fus présenté à ce brave M. Carré (grand distributeur “d’oignons”), qui s’occupait des aînés et voulut bien m’intégrer parmi les élèves de sa classe.

La première journée se passa sans incident notable. A remarquer cependant qu’après la récréation de 10 heures, sœur Emma me mena à la salle de couture et, derechef m’indiqua la manière de repriser les chaussettes agrémentées de trous formidables et ce, grâce à l’aide de boules ou d'œufs en bois. Je devais par la suite devenir assez habile dans ce genre de travail, puisque l’on me confia la charge de remettre en état les bas du père Carré, ce qui me valut quelques gâteries (bonbons, chocolat ou gâteaux) de sa part.

J’eus la chance d’arriver à Domois à la fin février, donc après les grands froids, car je devais apprendre par la suite ce qu’était un hiver à Domois.

Heureux jeunes gens, pensionnaires actuels de l’orphelinat et qui bénéficiez du chauffage central, sachez qu’à cette époque, nous souffrions cruellement du froid en mauvaise saison ; à par les classes, salle de couture et ateliers où l’on n’aurait rien pu faire avec ses doigts, il n’y avait de feu nulle part. Pas de feu aux réfectoires (sauf dans celui des tout-petits), ni aux dortoirs, ni à la chapelle, et les travailleurs des champs et du jardin ne savaient guère ce que c’était de se chauffer au cours des longs hivers. La vie était extrêmement dure sous tout ses rapports (c’était vraiment “l’époque héroïque”. La nourriture était la plupart du temps “immangeable” sauf les jours de fête et en particulier le jour de la Saint-François (29 janvier), fête du père Chanlon, où il était servi un repas un peu plus amélioré.

 

Voici un autre témoignage de la période 1915-1920, tout aussi intéressant et très enrichissant.

Mon départ de Béthune fin 1914 fut provoqué par l’arrivée des Allemands qui occupaient la région. Le lamentable et pénible voyage de Béthune à Dijon, en compagnie de mes petits camarades, dont je me rappelle quelques noms : P. Déprez, A. Varet, C. Roussel, G. Petit, A. Loisel, H. Derelz, les Dejonghe. Sœur Alice et sœur Isaie nous accompagnaient et leur garde était vigilante et pleine de tendresse.

Huit jours de chemins de fer : wagons inconfortables, poussiéreux et crasseux, à compartiments uniques, sans éclairage la nuit, décès de vieilles personnes en cours de route, qui agonisaient à côté de nous, au milieu des jurons en patois du Nord, des râles et des plaintes ; incommodité de tous pour les nécessités ordinaires, d’où nos pudeurs rentrées ; l’assaut des wagons remplis de pommes, nos coliques faisant suite ; les distributions de douceurs dans toutes les gares où notre convoi faisait halte, les soupes et bouillons-gras et les tisanes pour émigrés ; nos figures hâves, sales, nos mains poisseuses : Orléans où nous croupîmes quelques heures sur une voie de garage, ainsi qu’un tas de bois ou de ferraille, parmi les locomotives en robe jaune et Mon départ de Béthune fin 1914 fut provoqué par l’arrivée des Allemands qui occupaient la région. Le lamentable et pénible voyage de Béthune à Dijon, en compagnie de mes petits camarades, dont je me rappelle quelques noms : P. Déprez, A. Varet, C. Roussel, G. Petit, A. Loisel, H. Derelz, les Dejonghe. Sœur Alice et sœur Isaie nous accompagnaient et leur garde était vigilante et pleine de tendresse. Huit jours de chemins de fer : wagons inconfortables, poussiéreux et crasseux, à compartiments uniques, sans éclairage la nuit, décès de vieilles personnes en cours de route, qui agonisaient à côté de nous, au milieu des jurons en patois du Nord, des râles et des plaintes ; incommodité de tous pour les nécessités ordinaires, d’où nos pudeurs rentrées ; l’assaut des wagons remplis de pommes, nos coliques faisant suite ; les distributions de douceurs dans toutes les gares où notre convoi faisait halte, les soupes et bouillons-gras et les tisanes pour émigrés ; nos figures hâves, sales, nos mains poisseuses : Orléans où nous croupîmes quelques heures sur une voie de garage, ainsi qu’un tas de bois ou de ferraille, parmi les locomotives en robe jaune et nimbées de vapeur (c’est ainsi qu’un enfant de 10 ans voyait les choses).

L’arrivée à Nevers : la nuit passée sous les halles et repos sur de la paille humide à souhait (dormeurs inconscients et hideux au milieu des senteurs de poissons et de fromages : véritable havre pour épaves humaines et fragiles jouets dans les mains du sort) ; copieux repas, rue de l’Oratoire où l’on mangea dans des assiettes creusées à même le bois des tables.

Enfin le voyage prit fin, et c’est très fatigués que nous arrivâmes à Dijon au 40, rue Condorcet où nous fûmes vite dirigés sur Préville. C’est à pied, par la route de Seurre que nous arrivâmes à notre nouvelle demeure.

Mon séjour à Préville, verte et opulente métairie où les sapins et les arbres fruitiers sont rois, avec sa belle allée de peupliers pointant haut vers le ciel (remplacés depuis par des sapins maigres et mélancoliques), fût pour moi extrêmement délicieux.

Sœur AMBROISE, personne fière, dévouée, intelligente, dynamique, musicienne et dessinatrice hors ligne, portant des lunettes à verres noirs et disant souvent de se méfier des gens porteurs de lunettes de cette couleur (je sais gré à cette bonne sœur de sa noble et artistique éducation), était notre institutrice. M. Duthoit, aux petits yeux de fouine, semblait toujours scruter un horizon chimérique ; si ces lignes tombaient par hasard sous ses yeux, qu’il sache que j’ai gardé de sa baguette protectrice tant à Béthune qu’à Préville, “le meilleur souvenir” ! Et pour nous garder et nous protéger, sœurs Alice, Isaie, Saint-Jean : anges vigilants que la Providence désigna pour notre sauvegarde morale autant que physique.

A Préville nous étions bien et lorsque nous faisions trop de bêtises, les sœurs nous disaient “Si vous n’êtes pas sages, vous irez à Domois”. Cet avertissement, combien de fois l’avons-nous entendu bourdonner à nos oreilles. A vrai dire : quotidiennement, et cela pour des motifs futiles et quasi inexistants. Nous, les enfants de Béthune, qui vivions depuis quelques mois dans cette retraite toute pleine de verdure et de charme, encadrés et protégés par un personnel sympathique et compréhensif, bien nourris, presque choyés, il semblait dans nos petites cervelles que le grand domaine du père Dediot était une succursale du ciel et, de surcroît, un peu le nôtre. Là, après “l’enfer du Nord”, nos vicissitudes, nos misères encore toutes fraîches y trouvaient un baume bienfaisant et consolateur. Ah ! comme nous eussions aimer demeurer dans ce Préville - véritable Eldorado - longtemps, très longtemps.

Préville

Hélas ! l’horizon n’était point rose. Convoyés par un vent néfaste, des nuages tels qu’on en voit dans les cauchemars, voilaient de tristesse chaque chose

A cette époque dont je vous parle, nous vivions dans une continuelle et indécollable appréhension. La guerre n’en finissait plus. L’espoir du retour à Béthune, déjà bien problématique, s’évanouissait tout doucement... et définitivement. Certes, nous comprenions aussi que l’existence privilégiée qui était notre lot ne pouvait se prolonger éternellement.

Ainsi parfois le provisoire n’est pas définitif (contrairement à ce qui se passe très souvent), et comme les racontars chuchotés soit par le laitier (à cette époque R. Chapuis) ou le messager - ou même ce brave Joseph, porteur de gamelles - nous craignions Domois plus que la guerre, jugez de notre état d’esprit du moment et de la hantise que nous pouvions avoir de ce lieu maudit par tous ! De plus, un élément psychologique venait amplifier notre effroi. Nous savions par ouï-dire que notre situation - notre façon de vivre - provoquait quelques jalousies parmi la masse de nos futurs camarades. Le dimanche, quand nous montions à Domois pour assister à la grand-messe, les gars de l’orphelinat nous regardaient d’un mauvais œil. Nous faisions figure d’intrus ; nous étions les favorisés, les “fils à papa”, les étrangers en somme ; le pain qu’on nous donnait était autant de portions en moins pour eux. Que sais-je !... Rien qu’à entendre ce nom de Domois, nous éprouvions tous un certain malaise. En toute impartialité disons que le Domois de ce temps-là n’avait rien de très enviable en fait de réputation. Donc, rien de comparable au Domois d’aujourd’hui. En effet, pour quantité de gens, Domois était une maison de correction où l’on enferme, pour les écarter de la société, les enfants indisciplinés, délinquants ou voyous, à seule fin de les re-dres-ser (si l’on peut dire).

De plus, dans ce refuge campagnard isolé de tout et de tous on y travaillait comme des mercenaires, on y “mourait” de faim, et les caresses étaient données sous forme de gifles, de brimades et de coups de toutes sortes (à ce qui se disait). Ainsi les souffrances morales s’ajoutaient aux souffrances physiques. Rien de surprenant alors pour nous que Domois fît l’effet du martinet d’un père Fouettard en une belle nuit de Noël.

De plus, dans ce refuge campagnard isolé de tout et de tous on y travaillait comme des mercenaires, on y “mourait” de faim, et les caresses étaient données sous forme de gifles, de brimades et de coups de toutes sortes (à ce qui se disait). Ainsi les souffrances morales s’ajoutaient aux souffrances physiques. Rien de surprenant alors pour nous que Domois fît l’effet du martinet d’un père Fouettard en une belle nuit de Noël.

Mais il y a autre chose, bien plus révoltante encore : les enfants dont la faute était d’avoir perdu leurs parents, ou dont le père était mobilisé sur le front, ou abandonnés et laissés pour compte se voyaient, pour cette raison, parés du titre peu glorieux d’orphelins. Quand je dis : peu glorieux, je songe à la pitié et aux sarcasmes que cette appellation entraîne de la part de quelques imbéciles dont le seul mérite est d’avoir tort en considérant le mot orphelin, à l’égal du mot vaurien.

Ils prononcent du reste ces deux mots avec le même haussement d’épaule et le même sourire ironique comme s’ils étaient, eux, des directeurs de conscience. Mais bah ! passons, puisque tout passe et nous savons tous, nous orphelins que nous n’avons jamais été des voyous ni des délinquants.

A certaines attentions délicates et subtiles de la part de ceux et celles qui nous entouraient, nous devinions que notre départ pour Domois était proche. Dès l’instant nous pouvions donc cirer nos... souliers, et songer à quitter encore une fois un lieu que déjà nous commencions d’aimer pour aller grossir les rangs des “petits” ou des “moyens”. Sous quelle tutelle, mon Dieu, allions-nous tomber ?

Le jour où la décision fût prise, nous pleurions tous, même les bonnes sœurs et M. Duthoit (la Vieille) notre surveillant. Bien astiqués, des pieds à la tête, nous prîmes le sentier poussiéreux et plein de fondrières qui mène à Domois. Ah ! ce jour de notre départ pour Domois ! Vous en souvenez-vous mes chers camarades ! Combien il fut triste malgré le jour ensoleillé ! Et combien aussi les adieux à Préville furent sincères ! (Quand je dis “adieux” je devrais dire “au revoir”, car la plupart d’entre nous y revîmmes plus tard et pour d’autres raisons ).

Nous fîmes donc nos adieux : au joli parc rempli d’arbres et de bosquets de toutes espèces et égayés d’oiseaux ; au grand verger aux fruits multiples qui invitaient à la maraude ; au vivier en surplomb serti de hauts sapins aux essences si pures et à la petite source cachée dans une maisonnette de pierres blanches ; aux chaudes écuries sentant bon la laine, le lait et les tourteaux ; à la salle de classe où trônait sœur Ambroise, le nez chaussé de lunettes noires ; au réfectoire parfumé à la soupe et aux compotes de fruits ; au dortoir situé sous les combles où nous aimions nous endormir bercés par la chanson du vent, les bourrasques, la pluie, les hullulements des chouettes et autres oiseaux nocturnes, etc... les plaintes des sapins.

Adieu à tout ce qui avait contribué à nous offrir un peu de ce bonheur, si rare aux enfants délaissés. Adieu aussi - et pourquoi pas ? - à cette musique monotone et énervante de l’écrémeuse de sœur Hortense (où Crescence) qui n’en finissait jamais de ronronner pendant les heures de classe et cela dans une petite chambre puant le fromage et le lait battu où s’ébattaient des milliers de mouches... Adieu enfin à cette belle allée de peupliers aux fossés remplis de buissons d’épines où nous cherchions les hérissons.

Finie la vie de pacha... A nous les rognes, la soupe aux layots, la bouse de vache (épinards), les tuyaux (pâtes), la colle (riz), les leutoches, les biscains (pas de traduction possible, la langue domoisienne était particulière... si l’un de vous se souvient, il peut me le faire savoir), la couenne jaune importée d’Amérique (hé oui ! déjà), les péteux, les graillons, etc... etc... Et cela pour une durée de cinq ans, une paille !

Me voici donc installé près de sœur Emma ; je devais rester dans sa division jusqu’à fin septembre 1915, alors que la tradition aurait voulu que je passe chez les grands en janvier de cette même année, date de mes 14 ans, mais la Grande Guerre s’était déclenchée entre-temps, bouleversant le règlement qui se ressentait de quelques entorses. Je ne me suis jamais plaint de ce séjour prolongé chez les “moyens”, car ayant entendu parler de brimades infligées par les anciens aux nouveaux venus dans la grande section, j’appréhendais ce qui m’y attendait de fâcheux.

C’était un jeudi, jour de congé, je me revois encore dans la salle de couture ; méthodiquement, je reprise des chaussettes (chaussettes déjà reprisées plus de dix fois). Sous l’œil attendri de Mme Manlay, je m’applique. Oui, je m’applique - en entrelaçant la laine grise déboulée - à faire de superbes grilles dont je martèle de temps en temps les bords : ceci pour éviter des reliefs trop prononcés qui pourraient provoquer aux pieds quelques désagréables durillons.

Car, ne l’oublions pas, pour un “moyen”, repriser convenablement des chaussettes est un art véritable - peut être le dixième - et qui, fait de patience et de résignation, ouvre parfois la porte à la rêverie. Tout les garçons de treize ans à Domois doivent savoir repriser les chaussettes ; sans cela il y aurait déshonneur et l’on serait “moyen” qu’à demi. Sacrebleu ! on est “moyen” ou on ne l’est pas.

Le silence règne dans la salle. Un silence monacal, propice à la prière. A peine entendrait-on une mouche voler. Car malheur à celui qui oserait émettre un son, à plus forte raison faire un quelconque bruit. On se retient même de tousser. Nous connaissons bien la sentence portée contre le bavardage pour enfreindre la règle du mutisme le plus complet ; elle est toujours la même : pain sec et pas de récréation et... le nez au mur avec les mains derrière le dos...

Orphelins têtes nues

Seuls les craquements des meubles branlants troublent parfois la quiétude du lieu. Dans cette ruche où l’on œuvre avec patience et résignation, il est facile de s’apercevoir que l’ennui ronge les cœurs. Nos gestes sont toujours les mêmes ; établis une bonne fois pour toutes, ils sont mé-ca-ni-ques, et aucun de nous n’y voudrait rien changer. De plus, avec nos têtes aux cheveux coupés ras et faisant un travail de “demoiselle”... nous avons... piètre mine !

Ainsi se passaient les jeudis matin à Domois en ce temps-là ! Nous avions la coupe de cheveux chaque mois. Voici comment cela se passait. Sœur Emma, armée de sa tondeuse, sacrifiait une longue journée pour remettre les crânes à ras, et nous ressemblions alors à des pensionnaires de Cayenne ou de Nouméa (pénitenciers réputés des Français). Cette coupe, à la mode aujourd’hui, nous rendait honteux et pas très beaux à voir. Le lendemain, c’était la ruée à qui arriverait le premier au lavabo préhistorique qui contenait un seau d’eau pour servir aux 50 gosses que nous étions. Un mince filet coulait des petits robinets ; les plus débrouillards se lavaient la tête à l’eau propre et les autres dans la crasse des premiers, qui séjournait dans le pourtour en zinc, car pas d’eau courante ! On peut comprendre pourquoi on nous tondait si souvent.

La toilette

 

A Domois, bien qu’il y eût un certain nombre de sœurs et de pères pour s’occuper des orphelins, ils ne pouvaient pas tout faire. Les “grands” en général étaient employés à différentes tâches.

Sœur Cunégonde présidait au lavoir ; sœurs Renée et Fortuna s’affairaient près des fourneaux ; sœurs Perpétue et Sébastien étaient assignées aux travaux du jardin et sœur Alphonsia avait la tâche ingrate de la porcherie. Sœur Marie-Louise, initiée au secret de la fabrication du vin mousseux par mère Polycarpe, l’assistait dans cette spécialité.

Toutes ces sœurs étaient dirigées par ladite mère ci-dessus citée, elle-même chapeautée par mère Henriette, grande supérieure, le plus souvent à Dijon, rue Condorcet.

Le père Chanlon, fréquemment absent de l’orphelinat (il avait quand même 68 ans), était secondé par le père Richard, sous-directeur ; le père Carré, surveillant des grands, assumait les fonctions d’instituteur. Il s’efforçait de nous donner les rudiments d’une instruction primaire indispensable. Pour les rebelles à l’assimilation, il usait et même abusait d’un moyen qu’il jugeait infaillible et que nous appelions une distribution “d’oignons” (coups répétés portés sur le crâne, et ce, à l’aide de la main fermée).

Par l’application de cette méthode entrèrent dans mon crâne cabossé, et ce pour n’en plus jamais sortir, les accords des participes passés selon leur (ou sans) auxiliaire. C’est ainsi qu’à Domois, en cet an de grâce 1913, s’affirmait déjà l’efficacité de la “force de frappe” !

Le père Braux s’occupait de la maîtrise qui était particulièrement brillante à cette époque. Une fois par semaine, le jeudi, avait lieu la classe de chant dirigée par lui ; il s’y montrait sévère envers les retardataires qui connaissaient alors les “douceurs” de la baguette de coudrier que ce prêtre maniait magistralement.

Il possédait un magnifique timbre de baryton et, aux jours de grandes fêtes, nombreux étaient les habitants des communes voisines qui venaient assister aux vêpres au cours desquelles il interprétait avec talent un joli cantique, tel “Je suis le Bon Pasteur”, la “Cantate à Jeanne d’Arc” et bien d’autres où sa voix faisait merveille.

Comme je vous le disais précédemment, nous étions très souvent employés aux différentes tâches (corvées pour nous autres), et les travaux des champs, du jardin et de la vigne étaient les principaux. Le travail n’était pas désagréable en général, c’est en hiver que nous souffrions le plus.

Nous participions aux plantations des pommes de terre, dédoublage et piochage des betteraves, puis plus tard, rentrée des foins et engrangeage des moissons, suivies du battage. Nous avions pour nous surveiller une religieuse qui n’était pas tendre envers nous : c’était une Allemande (Prussienne), qui s’appelait sœur Dorothée ; elle ne nous goûtait guère, exigeant de nous un travail acharné dans le rendement. Je me souviens de l’immense champ de betteraves s’étendant de la ferme de Préville à la garde-barrière (supprimée et remplacée par un pont actuellement), avec des raies dont on ne voyait pas le bout. Nous étions très fatigués le soir venu et nous étions heureux de retrouver notre “plumard” (lit).

Les enfants avec les outils

Même si cette période était difficile pour tout le monde (n’oublions pas que la France était en guerre), à Domois, nous avions des moments qu’on pourrait appeler de fête. Grâce à la religion dont se paraient nos éducateurs, nous pouvions manger un peu mieux, nous divertir et nous reposer, au jour de l’an, le 29 janvier à la Saint-François (fête du père Chanlon) ; à Pâques, le premier dimanche de mai, jour du pèlerinage de Notre-Dame de Domois ; le 25 juillet, fête du père Richard (la coutume voulait que l’on fête nos directeurs), et enfin Noël, qui était très attendu comme dans tous les foyers du monde, par les enfants.

Noël était pour nous une fête qui nous permettait d’assister à la messe de minuit - carillonnée par l’ami Avignant (ancien et premier président de l’Amicale), maître sonneur chargé d’annoncer les offices - et au cours de laquelle nous pouvions communier, ensuite nous avions le bénéfice d’un vin chaud. Au matin de Noël même grand-messe, et à midi, un bon repas. Mais aussi une déception : pas d’arbre de Noël.

Le jour de l’an, le matin, il y avait les vœux exprimés au père supérieur, puis suivaient les chants et les saynètes préparés par les orphelins. L’après-midi, tout rutilant de boules multicolores et de guirlandes argentées, le sapin nous attendait dans la salle des fêtes. Nous avions des numéros, comme à la loterie : le plus veinard gagnait un beau jouet, habituellement une machine à vapeur, et le plus mal servi une chaîne de montre (sans montre !) ; à chacun était attribuées quelques papillotes et oranges. Nous étions heureux.

Pour la Saint-François, la fête était plus prestigieuse. Après la messe de communion du matin à l’intention du père Chanlon, nous nous réunissions pour la lecture du compliment. Puis, après un bon repas, le meilleur de l’année (c’est Clément Chartrain qui le dit, donc...), agrémenté de mousseux de la “Maison Blanche”, c’était la séance récréative préparée par la grande division et à laquelle assistaient, outre les orphelins et la communauté, de nombreux habitants du hameau et des communes voisines. C’était un plaisir inoubliable pour nous, privés de toutes distractions (à part la lanterne magique que le père Richard actionnait les dimanches d’hiver).

Le pèlerinage à Notre-Dame de Domois avait lieu le premier dimanche de mai (encore aujourd’hui) et c’était un grand jour pour nous. Cela nous réjouissait beaucoup, car outre les grandioses cérémonies religieuses, nous avions l’occasion de voir un grand mouvement de foule avec la présence fidèle de la “Petite Mère Chapelet” venue vendre médailles et images pieuses. Tout ceci donnait de l’animation à notre vie monotone.

Il était de tradition, comme je le disais plus haut, de fêter notre supérieur général, et le père Richard l’était. Cela commençait par le repas du soir agrémenté cette fois d’un dessert apprécié : les œufs à la neige. Puis nous nous rendions dans la cour des “grands” où était donnée une séance récréative, de nuit, en plein air (c’était en juillet).

La gymnastique

Cette fête était un enchantement ; elle était due à l’initiative du père Braux et de M. Paquet, instituteur et chef de la société de gymnastique “l’Espérance de la Plaine”, qui se produisait dans des mouvements d’ensemble très réussis, auxquels succédait une petite comédie interprétée par nos camarades. Pour terminer ces réjouissances, plusieurs “grands” faisaient partir, dans la chaude soirée de juillet, de modestes pièces d’artifice qui faisaient notre joie.

Mon passage chez les “grands” se passa fin septembre et mes adieux envers les “moyens” se firent plus vite que la lumière. Ma soupe avalée et mes draps usagés sous le bras, me voici parti à la recherche du père Carré, de qui j’allais désormais dépendre. Je rejoignis mon nouveau surveillant au réfectoire des “grands” où il achevait son petit déjeuner ; je l’informai que mère Polycarpe avait décidé de mon passage dans la grande division (ce qu’il savait déjà, d’ailleurs) et que je me trouvais sous sa “tutelle”. Il me conduisit alors à mon nouveau dortoir où il m’indiqua le “lit” que j’occuperais désormais, puis me fit un petit discours bien inutile (car j’étais fortement intimidé par sa stature “confortable” et le souvenir de ses distributions “d’oignons”) sur la nécessité pour moi de me tenir tranquille afin d’éviter des punitions redoutables de sa part.

J’appréhendais par avance l’accueil qui serait réservé par les aînés de la grande division, mais je dois dire dès à présent qu’il ne se passa rien de désagréable pour moi et que je fus servi par un événement qui me concilia tout de suite l’amitié des plus âgés ; ce sera le sujet de la seconde anecdote. Il faut pourtant que j’informe les lecteurs que, dès la première nuit , je dus me bagarrer avec les innombrables punaises qui montaient en bataillons serrés à l’assaut de ma pourtant maigre personne. Des punaises, je n’en ai jamais vu autant qu’à Domois, et l’on dit qu’on ne trouve pas de ces indésirables bestioles à la campagne ! Nous avons souffert beaucoup tous les ans en période chaude (même moins chaude) et l’on se disputait la veilleuse (lampe Pigeon) dont le principal usage était de les rôtir !

Le groupe des Soeurs à Préville

La promesse donnée à l’abbé Brunet, mon bienfaiteur quelques années auparavant, a été tenue, car je fus envoyé à l’imprimerie, lieu où les “meilleurs” en orthographe étaient dirigés. C’est pas qu’il y avait beaucoup à faire à la composition, la confection du bulletin paroissial, une revue inoffensive pour jeune filles (l’Idéale Jeunesse). Nous meublions les “creux” par des distractions qui consistaient par exemple à orthographier à notre façon les noms de gens que nous connaissions (la duchesse de Mortemart qui devenait par nos soins Muortemuart). Des jeux divers et plutôt simples, dont les principaux étaient : le “rapide”, qui se trouvait être une caisse plate, installée sur le chariot sur lequel habituellement on transportait les formes aux machines.

L’un de nous se mettait “à cropeton” dans ce mode de locomotion et, à toute vitesse, un camarade le faisait circuler dans les rangs ; il fallait, pour le passager, fermer les yeux et deviner au moment de l’arrêt où il se trouvait.

Nous n’avions pas beaucoup de travail, c’est la raison pour laquelle nous étions utilisés pour les travaux des champs, lorsque cela le demandait. Mais nous avons pu quand même apprendre notre métier et tous ont trouvé une situation à leur sortie de Domois.

Il y avait même de très bons ouvriers qui sont arrivés à de beaux postes, la preuve en est que, lorsque nous étions à l’imprimerie dans ces années, nous eûmes la visite d’un ancien élève de l’orphelinat, René Billoux qui, doué d’une grande intelligence, était arrivé à une brillante situation : gérant du “Bulletin des Maîtres-Imprimeurs de France”, et de plus lauréat de l’Académie Française.

Les ruines de Domois

 

A Domois nous avions comme on vient de le voir de bons moments et de moins bons, comme tous les enfants nous nous en accommodions le mieux possible. Nos regrets étaient enfouis dans nos cœurs qui parfois saignaient dans le silence et la discrétion que chacun savait avoir. Les anciens, malgré les souffrances qu’ils ont endurées durant leur séjour à Domois, garderont toute leur reconnaissance au père Chanlon. Il suffit de lire ce témoignage d’un orphelin qui se veut anonyme, mais ce qu’il dit c’est bien ce que pensent encore une fois ses camarades du moment.

Le père Chanlon, je le vois toujours au milieu de nous, souriant, aimable. ; le père Chanlon en était plus malade que nous. Il ne pouvait que donner ce qu’il avait pour 50, à plus de cent personnes. Je n’ai pas trop souffert des privations qu’il y avait au début En ce qui me concerne, je n’étais pas mieux chez moi ; j’étais presque dans la rue. Toutes les personnes que j’ai vues depuis m’ont dit que mon père était bon et bien aimé, que ses affaires marchaient bien, qu’il avait un coffre bien garni... Tout a été volé par des parents ; un groupe a passé devant le tribunal de X... Mon défenseur, en plaidant ma cause, a fait pleurer l’assistance en disant qu’ils avaient volé, au berceau, de jeunes enfants. Le peu qui restait est passé en frais. Personnellement, je dois beaucoup au père Chanlon ; en écrivant ces lignes, j’ai les larmes aux yeux ; c’est pour nous que le père se dépensait tant. Je ne l’ai jamais oublié.

Malgré toutes ces vicissitudes, nous sommes sortis très forts de l’orphelinat, heureux certes, mais assez craintifs face à ce qui nous attendait dehors. Et l’on peut dire maintenant que si le père Chanlon n’avait pas été là, que serions-nous devenus ? Ce pionnier de la première heure, cet éducateur de l’enfance déréglée - parce qu’abandonnée - était un véritable apôtre, qu’on le veuille ou non. Parmi les quelque deux mille enfants passés sous sa coupe, très peu ont “mal tourné”. Le système d’éducation de l’orphelinat à cette époque avait tout de même une certaine valeur...

Ainsi vécurent les orphelins des années 1900-1922.

Les ruines de Domois

 

Le groupe des Soeurs

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